Qu'il est agréable ici.

20. März 2024 Von Bertram Diehl

L'un de ces grands arbres est mort. Un euca­lyp­tus. Cer­tai­ne­ment haut d'une ving­taine de mètres, avec un diamètre d'environ un mètre à sa base. La ges­tion de l'immeuble d'appartements à côté m'en a informé. Ils ont qua­li­fié cela de mena­çant, d'alarmant. Ils ont rai­son. Cette fois-ci du moins. Ils ont tou­jours quel­que chose à redire à pro­pos de mes arbres. Trop de feuilles, trop de fleurs, trop de glands, des bran­ches du mau­vais côté de la clô­ture. Cette fois-ci, ils ont rai­son. Si l'arbre tom­bait vers l'immeuble, il emporte­rait avec lui les bal­cons et pro­vo­quer­ait un véri­ta­ble mas­sa­cre sur le par­king. D'innombrables voitures. Dans le pire des cas, des per­son­nes. Papa en route pour le tra­vail, maman avec les enfants sur le che­min de l'école. Qui sait quand l'arbre tom­bera ? Un arbre mort est impré­vi­si­ble. Une action urgente est néces­saire.

Il fait bon vivre ici. L'expert en arbres. Un spé­cia­liste de l'abattage des grands arbres en pré­ser­vant au mieux l'environnement. Parmi plu­sieurs devis, au moins deux, je choi­si­rai le moins cher. Cet expert, je le sais par expé­ri­ence, né rem­portera pro­ba­ble­ment pas l'adjudication. Les artis­ans et pre­sta­taires de ser­vices qui com­men­cent par dire qu'il fait bon vivre ici inclu­ent une majo­ra­tion dans leur esti­ma­tion. Au moins vingt pour cent. Pro­ba­ble­ment déjà lors de notre prise de ren­dez-vous au télé­phone, la pre­mière majo­ra­tion a été ajou­tée pour maxi­mi­ser les pro­fits. Un accent teu­ton un peu dur. Majo­ra­tion pour étran­ger.

Il y a quel­ques années, tard le soir, une bran­che était tom­bée d'un de ces grands arbres. Comme ça, sans rai­son appa­rente. Elle devait être un peu pour­rie à la base. Impos­si­ble à pré­voir. Elle est sim­ple­ment tom­bée un soir, en tra­vers du par­king du même immeu­ble. Vers onze heu­res, la police m'a réveillé. Je n'avais rien entendu. Peut-être une alarme plus tôt dans la soi­rée. Les alar­mes son­nent assez sou­vent ici. Sur le par­king de l'immeuble c'était un scé­na­rio cata­stro­phe. La bran­che de mon arbre gisait en tra­vers du par­king, les der­niè­res bran­ches juste devant l'entrée. Gyro­phare de la police et des pom­piers. Pro­jec­teurs, tronçon­neu­ses. Des gens per­ple­xes autour. J'ai dû expri­mer mes reg­rets et rem­plir des for­mu­lai­res pour les assuran­ces.

Ce né serait pas si simple, a dit l'expert en arbres, vu la pro­xi­mité du par­king et des autres arbres. Un arbre si grand, si épais, si lourd. L'eucalyptus est un bois lourd, même sec et mort, en plus d'être fibreux et dur, a expli­qué l'expert en arbres. Beau­coup plus dif­fi­cile à tra­vail­ler que le chêne. Il par­lait de bar­riè­res sur le par­king voi­sin, de nacel­les élé­vat­ri­ces, de chaî­nes spé­cia­les pour ses scies. Chaî­nes spé­cia­les pour euca­lyp­tus. Au moins trois hom­mes. Pro­ba­ble­ment une jour­née ent­ière. Coûts sup­plé­men­taires pour l'élimination. Logi­que. Il jus­ti­fie­r­ait plus tard dans l'offre une majo­ra­tion pour la dif­fi­culté extrême. On peut cer­tai­ne­ment tout vendre à l'étranger qui vit ici. Il n'a pro­ba­ble­ment aucune idée, l'étranger.

À l'époque, cinq voitures avai­ent été endom­ma­gées. Heu­re­u­se­ment, aucun blessé. On n'ose ima­gi­ner si des per­son­nes avai­ent été bles­sées. Seu­le­ment des voitures. L'une d'elles en dom­mage éco­no­mi­que totale. Pro­ba­ble­ment. En tout cas, elle avait l'air tota­le­ment détruite. La voiture était une pièce de collec­tion, a dit le pro­prié­taire, ajou­tant divers détails tech­ni­ques. Fabri­ca­tion spé­ciale, beau­coup de cylind­res. Que sais-je des voitures ? Une voiture est bonne si elle né va pas à l'atelier chaque année. La voiture de collec­tion était une Mer­ce­des. Une de ces voitures inde­st­ruc­tibles qui par­cou­rent des mil­li­ons de kilomè­tres. Impos­si­ble à tuer. Mon père en avait une comme ça. Un modèle d'antan, un mani­feste de la fia­bi­lité sou­abe dépour­vue de toute élé­gance. Mon père n'a jamais pu s'y habi­tuer. Son pre­mier et der­nier die­sel. Plus jamais de die­sel. Le seul die­sel de mon père doit encore rou­ler quel­que part en Afri­que comme taxi.

Sur le che­min du retour vers son grand SUV bava­rois, nous avons bavardé un peu. J'ai dû pré­ciser que je n'étais pas Belge et que ce n'était pas ma rési­dence secon­d­aire ici. Les Bel­ges sont au moins aussi impo­pu­lai­res que les Pari­si­ens et sont donc éga­le­ment can­di­dats à la majo­ra­tion. La rési­dence secon­d­aire n'est de toute façon pas accep­ta­ble. Il faut prendre de l'argent à ces gens, où que ce soit pos­si­ble. J'ai dû expli­quer que je n'étais pas en vacan­ces ici, mais que je tra­vail­lais en France, employé à l'hôpital. Les majo­ra­ti­ons pour Bel­ges et rési­dence secon­d­aire se retrou­ver­ai­ent mal­gré tout dans l'offre, je le soupçon­nais. Non dits. Ajou­tez à cela la majo­ra­tion pour doc­teur. Aussi taci­te­ment bien sûr.

La voiture de collec­tion n'avait vrai­ment pas l'air bien. Le toit enfoncé, pres­que tou­tes les vitres en petits morceaux. De plus, une bran­che de la bran­che avait tran­spercé le moteur. Vrai­ment mort. Ça me rap­pel­ait les films de Dra­cula. Seule une che­ville de bois enfon­cée dans le cœur apporte la paix éter­nelle à l'immortel. Le pro­prié­taire né trou­ver­ait pas cette asso­cia­tion si drôle, il avait les lar­mes aux yeux. Qu'est-ce qu'une voiture soi-disant pré­cieuse fai­sait sur le par­king d'un immeu­ble d'appartements, pen­sais-je. Une Mer­ce­des est en principe inde­st­ruc­tible, j'ai essayé de récon­forter le pro­prié­taire attristé, mon père en avait aussi une. Depuis de nom­breu­ses années déjà. Incas­sa­ble. Sa fierté. Et la voiture est sûre­ment assu­rée en fonc­tion de sa val­eur. Chez Mer­ce­des, ils sau­ront sûre­ment s'en occuper.

Deux jours plus tard, un cour­riel avec le devis. 1 800 euros. HT. Tou­tes les majo­ra­ti­ons appa­rem­ment réa­li­sées. TVA encore vingt pour cent. Je con­nais déjà ça. Les pein­tres, les plom­biers, les maçons font aussi sou­vent ça. Ils com­men­cent avec leur "Il fait bon vivre ici", pen­sent à une majo­ra­tion appro­priée pour cela, ajou­tent d'abord la majo­ra­tion pour dif­fi­culté extrême, puis com­plè­tent géné­reu­se­ment en rai­son de l'accent pro­ba­ble­ment belge ou hol­lan­dais, de la rési­dence secon­d­aire et du titre doc­teur pré­su­mé­ment. TVA, oui, mal­heu­re­u­se­ment. -

Maxime, un jeune spé­cia­liste des arbres du vil­lage, a abattu l'arbre avec son employé un samedi matin. Sans bar­riè­res, sans nacel­les élé­vat­ri­ces, sans dom­mages col­la­té­raux. Une dis­po­si­tion spé­ciale pour les jeu­nes entre­pre­neurs lui per­met­t­ait de renon­cer à la TVA. Quatre cents euros.

Il fait bon vivre ici.

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